À propos des spectacles

La compagnie est née en 2005 avec l’ambition de rechercher un théâtre de l’incarnation. A l’instigation de Sylvaine Guyot qui menait alors un travail de Doctorat sur le corps chez Jean Racine, il s’est agi au départ de donner corps, justement, à un vaste poème, celui d’Andromaque. Premier travail ambitieux, rempli d’écueils et de rires. Au final, trop de mots, trop de mots, sans doute, mais l’enthousiasme qui a nourri ce spectacle est un bien précieux qui a forgé notre méthode de travail.

Peu à peu, la compagnie s’est éloignée d’une théâtralité stricte qui mettrait le texte en son centre, à la faveur de ma propre rencontre avec la danse butô d’une part, de notre travail pédagogique entamé avec Nicolas Torrens depuis 2007 d’autre part, que ce soit avec des comédien‧nes ou des personnes dites socialement « empêchées ». Certes, nous ne parvenons pas totalement à « renoncer » aux mots, mais nous faisons le choix d’une poésie fragmentaire ou d’un sens qui ne se donne pas d’emblée. Nous faisons le choix d’une mise en exergue radicale du corps, de l’être-là, ici et maintenant, de l’être face au vide, au silence, quitte à mettre de côté le texte, au moins pour un temps. Notre travail sur Hamlet-machine, à l’orée des années 2010, en est emblématique.

Aujourd’hui, la compagnie tente d’alterner des créations « théâtrales » et des performances, même si, à mesure que le temps s’écoule, il devient de plus en plus difficile d’effectuer des classifications opaques. Nombre de nos performances et spectacles ont dorénavant lieu in situ, hors de l’espace de la boîte noire théâtrale.

En tout cas, il s’agit toujours de chercher un geste archaïque aux sources mêmes de la violence et de la vie, à la naissance même du langage, dans notre propre corps comme dans des créations collectives.

Vers un théâtre politique

Depuis 2018, le travail de la compagnie s’oriente de plus en plus vers la question des rapports de pouvoir tapis dans le langage ordinaire et la fabrique des discriminations. Ainsi, Mascarades tout comme Reste à ta place interrogent la construction des stéréotypes et de la pensée de masse, notamment à l’attention du jeune public des classes élémentaires et collégiennes.

En lien intime à cette exploration du langage ordinaire, la Marcheuse met également en place des dispositifs d’action territoriale et sociale à l’attention d’habitant·es de quartiers ou de territoires donnés, autour de la question : « Qu’est-ce qu’habiter quelque part ? »

De l’influence de la danse butô

Cette influence est plus ou moins visible dans le résultat final, mais toujours présente en-dedans du travail de création.

« Tout est affaire de corps, corps imparfaits, corps vacillants, corps tordus, comme en nostalgie permanente d’une terre dont ils s’arrachent et retombent sans cesse. Cependant, corps en mouvement, corps en transformation. Yeux écarquillés ou révulsés, aller et retour entre le dedans et le dehors. Le retour d’une mémoire qui danse met en mouvement mon squelette, fait trembler ma peau. Je fais pont entre les morts et les vivants, mon corps est lien.
Dans la danse occidentale, les corps semblent lancer un défi à la gravité, tendus vers le ciel, comme pendus désespérément dans une quête céleste, dans une obsession du droit, du geste parfait saluant les dieux. A l’opposé, je ploie sous la gravité, je ne peux atteindre nulle divinité hors de la terre. Je prends l’autre direction et, pour reprendre le mot de Pierre Emmanuel, « creuser l’enfer, c’est y engouffrer le ciel. »
Dans ma danse, le corps humain se fait miroir dansant de la nature, de la fleur fragile et éphémère à l’énergie rougeoyante du fauve, en passant par les tremblements de la terre et les ondoiements de l’océan. Dans ma danse, le corps lutte et hurle, le corps pleure, le corps lance un grand rire, parfois aussi. Le corps est en perpétuelle transformation, jusqu’à s’écrouler, terrassé, consumé d’avoir tant revécu, tant raconté.
Mon corps est totalement dans le présent de cette narration, je ne suis alors rien d’autre que ce miroir, par-delà le bien et le mal, par-delà le féminin et le masculin, par-delà le beau et le laid, par-delà mes limites. Je marche, je vacille à chaque pas, donc je suis.
 »
Sophie Hutin