« Tout est affaire de corps, corps imparfaits, corps vacillants, corps tordus, comme en nostalgie permanente d’une terre dont ils s’arrachent et retombent sans cesse. Cependant, corps en mouvement, corps en transformation. Yeux écarquillés ou révulsés, aller et retour entre le dedans et le dehors. Le retour d’une mémoire qui danse met en mouvement mon squelette, fait trembler ma peau. Je fais pont entre les morts et les vivants, mon corps est lien.
Dans la danse occidentale, les corps semblent lancer un défi à la gravité, tendus vers le ciel, comme pendus désespérément dans une quête céleste, dans une obsession du droit, du geste parfait saluant les dieux. A l’opposé, je ploie sous la gravité, je ne peux atteindre nulle divinité hors de la terre. Je prends l’autre direction et, pour reprendre le mot de Pierre Emmanuel, « creuser l’enfer, c’est y engouffrer le ciel. »
Dans ma danse, le corps humain se fait miroir dansant de la nature, de la fleur fragile et éphémère à l’énergie rougeoyante du fauve, en passant par les tremblements de la terre et les ondoiements de l’océan. Dans ma danse, le corps lutte et hurle, le corps pleure, le corps lance un grand rire, parfois aussi. Le corps est en perpétuelle transformation, jusqu’à s’écrouler, terrassé, consumé d’avoir tant revécu, tant raconté.
Mon corps est totalement dans le présent de cette narration, je ne suis alors rien d’autre que ce miroir, par-delà le bien et le mal, par-delà le féminin et le masculin, par-delà le beau et le laid, par-delà mes limites. Je marche, je vacille à chaque pas, donc je suis. »
Sophie Hutin